C'est la crise ? Comment relever la tête et rebondir

Dans le cadre de notre série « Osons parler de ce qui fait peur », nous avons participé à un temps d’échange à la Maison des Avocats de Lyon pour réfléchir aux manières de reprendre la main dans les difficultés.

Les organisations de l’Économie sociale et solidaire évoluent souvent « sur le fil », avec peu de marges financières mais beaucoup d’engagement. Comment anticiper les difficultés ? Quels leviers activer lorsqu’une crise survient ?

Trois intervenants ont partagé leurs regards croisés : Maître Justine Pelenc, avocate au Barreau de Lyon, Maître Alain Niogret, administrateur judiciaire, et Alix Boutard, ancienne gérante de l’auberge de jeunesse coopérative Alter Hostel.

Alter Hostel : la tête dans le guidon

Alter Hostel était une auberge de jeunesse solidaire dans le neuvième arrondissement de Lyon. Cette scop avait pour originalité d’accueillir aussi bien les voyageurs de passage que les personnes en précarité pour un prix modique. Elle se voulait aussi ouverte sur son quartier, accueillant des manifestations locales et des associations.

« Le chiffre d’affaires était à l’équilibre, sans grande marge de manœuvre, ce n’était pas le but. On savait que ça allait être difficile, mais réalisable de faire vivre encore cette structure », explique Alix Boutard.

Pourtant, malgré un taux d’occupation élevé, la structure ne parvenait plus à rembourser ses emprunts. L’arrivée de nouveaux concurrents, la hausse des coûts ont accéléré les difficultés. L’activité hybride sous un même statut s’est aussi avérée difficile à tenir : à la fois hébergement touristique et social, la scop ne remplissait pas les critères pour recevoir des subventions publiques…

Alix Boutard
Alix Boutard, ex-dirigeante d'Alter Hostel.

Alix Boutard avait repris la société avec une co-gérante début 2025, et c’est seulement quatre mois plus tard, en mai 2025, que la société a dû être liquidée.

Le site Rue89 Lyon a fait le récit de cet épilogue. « On avait la tête dans le guidon. On voulait que le lieu continue le plus longtemps possible. Il est difficile de lever la tête quand on a tout le quotidien à gérer », regrette Alix. Sans accompagnement, avec un cabinet comptable aux abonnés absents, la société a coulé à pic.

Voir les difficultés avant qu’il ne soit trop tard

En effet, comme nous l’avions indiqué lors de notre premier webinaire, il est essentiel d’identifier les signaux faibles le plus tôt possible : anticiper, surveiller, diagnostiquer régulièrement.

Selon Justine Pelenc, les problèmes peuvent être :

Conjoncturels : un événement extérieur qui déstabilise une activité jusque-là équilibrée (hausse des coûts, guerre en Ukraine, baisse brutale de financements…).

Structurels : une accumulation de petites fragilités (gouvernance instable, turnover, processus internes inefficaces…) qui finit par peser sur la santé financière.

Maître Justine Pelenc
Maître Justine Pelenc, avocate.

L’expert-comptable doit accompagner à lire le bilan : quel ratio entre fonds propres et dettes ? Y a-t-il des déficits réguliers ? A quoi sont-ils dus ? Il faut aussi examiner le compte de résultat : quel rapport recettes-dépenses, masse salariale, gouvernance…

« Il faut se donner des signaux tricolores, rouge, orange, vert. Où je me situe ? », conseille Justine Pelenc.

L’indicateur le plus parlant reste la trésorerie, mais d’autres signes doivent alerter : retard de subventions, tensions internes, menace de résiliation du bail, banque qui refuse d’octroyer un nouveau financement, directeur débauché, difficultés de recouvrement… Souvent, les difficultés économiques et financières sont la conséquence de petites difficultés qualitatives. Une somme de petites lourdeurs internes peuvent nuire à l’efficacité, des décisions non rentables, des investissements qui n’ont pas porté leurs fruits, des délais de subventions qui affectent le fonds de roulement…

Dans l’économie sociale et solidaire, la proportion de structures employeuses est plus importante. Le turn-over affecte souvent la productivité.

Les associations rencontrent aussi des problèmes de gouvernance : changements dans le bureau, perte de dynamisme des bénévoles. La démobilisation se ressent dans l’activité.

« Quand on n’identifie pas les difficultés assez tôt, on prend des décisions non rentables, comme un logiciel coûteux qui n’améliore rien », relève Justine Pelenc.

Des solutions

L’une des clés du retournement et du maintien du modèle ESS réside dans l’hybridation du modèle en diversifiant les sources de financement.

Les trois intervenants insistent : il ne faut pas attendre d’être au pied du mur pour demander de l’aide : « Ce n’est plus tabou, on n’a plus honte de dire qu’on ne va pas bien », rappelle Justine Pelenc. « Le panorama des structures à disposition est large et vaste, il ne faut pas avoir peur de lever le doigt. »

Avant même d’envisager une procédure judiciaire, tout un écosystème peut vous accompagner en amont :

  • Les CCI, la CRESS, l’Urscop, réseaux de l’ESS, les banques responsables… et nous bien sûr, avec notamment Inspire et notre accompagnement
  • Apesa leur apporte un soutien psychologique en cas de souffrance aiguë.

L’aide peut venir des mécènes, des collectivités, des salariés…

Le Tribunal de commerce est devenu récemment le Tribunal des activités économiques. Alors qu’auparavant les associations n’étaient pas de son ressort, il leur permet désormais d’avoir des interlocuteurs compréhensifs en les personnes de juges bénévoles, anciens dirigeants. « Ils sont ouverts et bienveillants. Ils ont lu le dossier en amont. Ce sont des personnes qui comprennent rapidement les difficultés», note Justine Pelenc. Le juge peut aussi recevoir les entrepreneurs pour traiter les difficultés.

Il est important que l’expert-comptable de l’entreprise soit un vrai partenaire pour faire remonter les signes d’alerte et faire des recommandations… Pour Alter Hostel, cela n’a pas été le cas. Il est essentiel de le questionner avec insistance sur d’éventuels problèmes, et d’envisager d’en changer s’il ne s’avère pas assez disponible.

Maître Alain Niogret, administrateur judiciaire.

Administrateur judiciaire et avocat :
des rôles complémentaires.

L’administrateur judiciaire gère opérationnellement la sauvegarde ou la liquidation de l’entreprise en difficulté : gestion, négociation avec les créanciers, continuation de l’activité.

L’avocat défend les intérêts juridiques de l’entreprise ou de ses dirigeants : conseil, représentation en justice, stratégie légale.

Procédure amiable ou procédure collective ?

Pour en savoir plus sur les procédures, voir la synthèse de notre première table ronde sur la question.

En amont, quand il est encore temps, on peut commencer par un traitement amiable, avec des procédures souples, rapides pour traiter rapidement des difficultés ponctuelles comme le mandat ad-hoc.

L’administrateur judiciaire est indépendant, réglementé, libéral. Il a un rôle de médiateur pour trouver une solution globale. N’importe quelle organisation peut le solliciter pour un mandat ad-hoc ou une conciliation. Ils donnent un cadre juridique pour restructurer l’endettement, c’est une condition souvent exigée par les banques. C’est le dirigeant qui définit la mission : négocier le bail, échelonner les dettes le temps de faire évoluer le modèle… « A l’amiable, on peut tout renégocier. La seule limite est la créativité du mandataire », indique Justine Pelenc.

Sinon, on peut se tourner vers procédures collectives comme le redressement qui sont plus longues et plus cadrées, mais elles offrent des leviers propices au sauvetage des structures. « Si je suis en cessation des paiements, je n’ai pas le choix, il faut passer par des procédures collectives», indique Alain Niogret.

Les procédures de liquidation peuvent prendre des années. Le redressement est généralement de 12 mois. Il permet de retrouver de la trésorerie, mais il ferme l’accès aux marchés publics.

La procédure de sauvegarde peut s’engager sans qu’il y ait cessation des paiements. Le dirigeant garde la main sur son entreprise. En redressement, en revanche, tous les décaissements sont contre-signés par l’administrateur.

Conférence barreau de lyon

« Dans tous les cas, ce qu’on attend avant tout du dirigeant, c’est la transparence », indique Alain Niogret.

En résumé, il importe de ne pas se décourager. « Le secteur de l’ESS a une grande capacité de résistance. C’est son ADN d’être sur le fil de la fragilité », estime Justine Pelenc en avançant que les liquidations judiciaires « sèches » y sont moins fréquentes dans les procédures que dans le reste de l’économie.