Coopérer, c’est construire ensemble
Durant nos deux journées Les Boucles – premiers pas, nous avons exploré la coopération comme méthode pour inventer des solutions durables. Conclusion : l’empathie, le partage des risques et la patience transforment les défis en opportunités collectives.
Quelle est la différence entre coopérer et collaborer ? Ne croyez pas que ces mots sont interchangeables : coopérer, c’est tout un art. Nous venons d’organiser deux journées pour faire ses premiers pas dans l’économie de la fonctionnalité et de la coopération sur des projets d’économie circulaire avec Suez et la Métropole de Lyon. On y a pourfendu pas mal d’idées reçues.
Sortir du cadre existant
Selon Carine Bergez, innovation manager chez Suez, la coopération repose sur trois principes.
- D’abord, se donner pour objectif de sortir de la logique de volumes pour aller vers plus de sobriété. Pour cela, on va promouvoir la satisfaction de nos besoins sans passer par la possession. C’est l’économie de la fonctionnalité.
- Ensuite, on va chercher à valoriser la création de ressources immatérielles : compétences, santé, qualité des relations… On apporte des co-bénéfices à d’autres parties prenantes : lutter contre l’isolement des personnes âgées, promouvoir l’insertion… « Pour cela, il faut décaler le regard de son propre modèle économique : qu’est-ce que ça nous apporte ? Il faut regarder d’autres externalités que juste le fait de vendre. »
- Et pour cela, on met en place des formes de coopération multi parties prenantes entre acteurs.
C’est là que la coopération dépasse la notion de partenariat : elle suppose une bonne dose d’empathie avec ses partenaires. « Quand on collabore, on part du cadre existant, explique Joséphine Tallon, responsable chez nous de la filière Les Boucles. Dans la coopération, on va construire le cadre ensemble. Les choses ne sont pas bordées, on accepte de prendre des risques pour créer une œuvre commune sur le temps long. »
Accepter de prendre le temps
Une action de coopération commence à deux ou trois personnes motivées, puis elle peut faire boule de neige. « Les résultats n’arrivent pas tout de suite, précise Carine Bergez. La confiance prend du temps. Mais ce n’est pas incompatible avec la rentabilité. Il faut aligner les objectifs des uns et des autres, partager les bénéfices et les risques. Quelles ressources, quel temps chacun est prêt à y mettre ? C’est à formaliser dès le départ. »
Pour elle, il faut accepter de démarrer à l’aveuglette. « C’est un acte de foi : on ne sait pas trop ce qu’on va produire. On espère créer de la valeur, mais on n’est pas sûrs. On va aussi créer plein de trucs qu’on n’imaginait pas au début. »
Cependant, il faut bien trouver un point de départ. Afin de faciliter la mise en marche du projet de coopération, les partenaires doivent chercher une problématique à résoudre réellement épineuse. « Quel sujet commun pourrit le quotidien de tous ? Cela permet de démarrer avec une intention commune forte. »
Retricoter la chaîne de valeur
Dans la ville, c’est le cas de la question des déchets encombrants, où interviennent Métropole, bailleurs sociaux, copropriétés… A Lyon, le volume annuel de ces déchets remplirait le stade de Gerland. Une véritable « mine urbaine » pour Simon Mirouze, qui travaillait à l’époque chez Envie. Mais pour en faire une ressource, encore faut-il « retricoter la chaîne de valeur ». Pour cela, deux éléments sont nécessaires : créer un outil industriel et cultiver la coopération.
Après de multiples trajets en camion-benne passés à étudier la question, Simon Mirouze a créé Iloé, pôle métropolitain d’économie circulaire, une Scic créée avec les collectivités et les bailleurs sociaux. « Il faut s’asseoir tous autour d’une table aux côtés de chacun des acteurs concernés, et certainement pas en face pour se renvoyer les responsabilités ! » Partant du constat commun qu’il était « intolérable de voir ce volume partir à l’enfouissement pour nos enfants », il a fallu passer beaucoup d’énergie pour changer de logique : « Quel équilibre économique ? Quelle méthodologie ? Quel dialogue ? ». Puis traquer les coûts cachés de l’enfouissement afin de redonner un prix à la ressource. Résultat : aujourd’hui, 80 % des encombrants récupérés par les bailleurs sociaux du grand Lyon sont recyclés.
Changer le thermomètre
Enfin, il est nécessaire pour l’entreprise d’accepter d’avoir des indicateurs de performance différents. La marque Michelin utilise classiquement comme indicateur de performance les chiffres de vente des pneus. En son sein, une entité s’est mise à expérimenter l’économie de la fonctionnalité à travers la vente de kilomètres parcourus et des services associés. Le service concerné a dû porter un discours sur de nouveaux indicateurs de valeur pour contrer l’impression que ce modèle différent n’était pas rentable.
Mais quand on coopère, les bénéfices de long terme, souvent inattendus, peuvent s’avérer fructueux : obtenir un financement européen, répondre à un besoin de territoire, devenir incontournables… À condition d’en prendre le risque !