Pour mieux rebondir, anticipons
et démystifions les procédures !

Quand on entreprend, l’échec n’est pas une fatalité ! Les procédures judiciaires sont parfois des étapes qui peuvent être anticipées, gérées et transformées en opportunités. 

Dans le cadre de notre série Osons parler de ce qui fait peur, nous avons réuni deux entrepreneurs sociaux qui ont vécu une liquidation et une administratrice judiciaire.

Trois intervenants ont partagé leurs expériences :

Masque Etoile-sept-branches-gomme-gutteLaurent Fialon, co-directeur général de Pro Bono Lab, une association spécialisée dans le mécénat de compétences, fermée en 2025 après treize ans d’existence.

Masque Etoile-sept-branches-gomme-gutteRenaud Colin, fondateur d’AddBike, une entreprise innovante dans le domaine des triporteurs, liquidée en 2023, mais dont la marque et les moyens ont été repris par les salariés et un investisseur.

Masque Etoile-sept-branches-gomme-gutteLudivine Sapin, administratrice judiciaire au cabinet AJ PARTENAIRES, spécialiste de l’accompagnement des entreprises en difficulté.

Les témoignages

Renaud Colin et AddBike : la course effrénée contre la montre

En 2015, Renaud Colin lance AddBike, une entreprise innovante qui transforme des vélos classiques en triporteurs modulables. Le projet est prometteur, mais dès 2017, les premiers signes de tension apparaissent. « On a fait une augmentation de capital, censée nous faire tenir deux ans. En réalité, ça n’a tenu qu’un an. » Dès lors, Renaud passe l’essentiel de son temps à chercher des financements pour maintenir l’entreprise à flot.

La crise du Covid-19 aggrave la situation. « On était en train de sortir un nouveau produit, avec un gros besoin de trésorerie. Tout se faisait à distance, dans l’incertitude. » Les commandes s’effondrent, les fournisseurs réclament des paiements, et les banques deviennent réticentes. Un incendie dans ses locaux complique encore la situation. En 2022, AddBike décroche un contrat important avec un acheteur public pour la livraison de 300 vélos. « On avait tout préparé. Et puis, un jour, ils nous ont dit : ‘Non, on ne veut plus de ce vélo-là, on passe sur une autre gamme.’ » Renaud se retrouve avec des stocks et une trésorerie en berne. « Là, je me suis retrouvé en état de cessation de paiement. »

En 2023, AddBike est placée en redressement, puis en liquidation judiciaire. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. « On a été repris par les salariés sous forme de coopérative. Je suis resté un an avec eux pour restructurer l’entreprise. » Renaud souligne que cette transition a permis à l’entreprise de continuer sous une nouvelle forme, tout en lui offrant la possibilité de passer à d’autres projets.

Laurent Fialon et Pro Bono Lab : l’épuisement d’un rêve collectif

Pendant huit ans, Laurent Fialon a œuvré au sein de Pro Bono Lab, une association dédiée au mécénat de compétences. « On accompagnait 150 à 200 associations par an. » Mais la crise du Covid-19 épuise les réserves financières. « On a contracté des prêts garantis par l’État, et nos fonds propres ont fondu. » Les subventions européennes, initialement perçues comme une bouée de sauvetage, compliquent la situation. « Si on n’arrivait pas à mener les projets à leur terme, il fallait tout rembourser. »

Les difficultés financières s’accompagnent de signaux humains inquiétants. « On a évalué les arrêts maladie sur les derniers mois : on avait presque un ETP (équivalent temps plein) en moins par an. » La gouvernance, composée de bénévoles, commence à montrer des signes de fatigue. « Les bénévoles s’épuisent aussi à gérer des organisations qui ne rencontrent que des difficultés récurrentes. »

En juin 2025, le tribunal prononce la liquidation judiciaire de Pro Bono Lab. Laurent Fialon tire des enseignements précieux de cette expérience. « Il faut savoir mettre des limites. Quand on perd le sommeil et que les difficultés s’accumulent depuis des années, il faut savoir passer la main. » Aujourd’hui, il travaille sur de nouveaux défis, avec une vision plus réaliste des limites qu’un dirigeant peut supporter.

Ce qu'il faut savoir

Les signaux faibles : des indicateurs à ne pas ignorer

C'est quoi, un signal faible ?

Un signal faible est un signe avant-coureur de difficultés potentielles, souvent subtil et facile à négliger. Il peut être économique, humain ou organisationnel. Les intervenants ont insisté sur l’importance de les identifier tôt pour éviter une dégradation irréversible de la situation.

Un signal faible isolé peut être gérable, mais l’accumulation de divers signaux faibles peut révéler la nécessité de prendre une nouvelle trajectoire…

En voici quelques-uns qui méritent qu’on y prête attention. 

Les signaux faibles économiques

  • Tensions de trésorerie : Difficultés à payer les factures à temps, reports de paiements, ou besoin de négocier des délais avec les fournisseurs.
  • Baisse du chiffre d’affaires : Perte de clients, marché en contraction, ou positionnement inadapté.
  • Endettement croissant : Accumulation de dettes (prêts bancaires, PGE, dettes fournisseurs) sans capacité à les rembourser.
  • Perte de fonds propres : Épuisement des réserves financières, notamment après une crise (ex. : Covid-19).
Exemples concrets :
  • Pro Bono Lab a vu ses fonds propres s’épuiser après la crise du Covid-19, malgré des prêts garantis par l’État. La structure s’est retrouvée endettée et fragilisée, avec une capacité de résilience réduite.
  • AddBike a connu des difficultés récurrentes de trésorerie dès 2017, malgré une croissance du chiffre d’affaires. Renaud Colin a passé plusieurs années à « courir après l’argent », sans jamais atteindre un équilibre financier stable.

Les signaux faibles humains et organisationnels

  • Augmentation des arrêts maladie : Un indicateur fort de stress et d’épuisement des équipes.
  • Turnover élevé : Difficulté à fidéliser les talents, signe possible d’un climat social dégradé.
  • Épuisement de la gouvernance : Dans les associations, les bénévoles du conseil d’administration peuvent se décourager face à des difficultés récurrentes.
  • Doute des dirigeants : Perte de confiance en la capacité à surmonter les crises, sentiment d’être seul aux commandes.
Exemples concrets :
  • Chez Pro Bono Lab, les arrêts maladie représentaient l’équivalent d’un ETP (équivalent temps plein) par an, traduisant un épuisement des équipes.
  • Renaud Colin (AddBike) a vécu pendant six ans une pression constante qui faisait peser la survie de l’entreprise sur ses épaules, avec plusieurs accidents : incendie de locaux, commande annulée…

Pourquoi anticiper ?

Masque Etoile-sept-branches-gomme-gutte

Éviter l’état de cessation des paiements (incapacité à honorer ses dettes avec sa trésorerie disponible).

Masque Etoile-sept-branches-gomme-guttePréserver la trésorerie pour financer une restructuration ou un pivot.

Masque Etoile-sept-branches-gomme-gutteMaintenir la confiance des partenaires (banques, investisseurs, clients).

Masque Etoile-sept-branches-gomme-gutteProtéger les équipes en évitant des licenciements brutaux.

Ludivine Sapin (AJ PARTENAIRES) : « Plus on anticipe, plus le panel de solutions est large. À l’inverse, une procédure tardive réduit  drastiquement les options. »

Les procédures de redressement et de liquidation :
une boîte à outils pour l’entrepreneur

Démystifier les procédures : des outils, pas des sanctions

Les procédures judiciaires (redressement, liquidation) ou amiables (mandat ad hoc, conciliation) sont souvent perçues comme des échecs ou des punitions. Pourtant, elles constituent une boîte à outils qui permet de :

  • Protéger l’entreprise en gelant les dettes.
  • Négocier avec les créanciers (banques, fournisseurs, État).
  • Trouver un repreneur pour pérenniser l’activité.
  • Liquider de manière ordonnée si la poursuite n’est plus possible.

Une procédure n’est pas toujours une fin, mais souvent un moyen de structurer une solution.

Les procédures amiables : agir avant la crise

Ces procédures sont confidentielles et volontaires. Elles permettent d’anticiper les difficultés avant l’état de cessation des paiements.

Procédure

Public concerné

Durée

Objectif

Mandat ad hoc

Entreprises qui ne sont pas en cessation des paiements

Illimitée

Négocier avec les créanciers pour rééchelonner les dettes

Conciliation

Entreprises en difficulté voire en cessation de paiement depuis moins de 45 jours

5 mois max

Trouver un accord avec les créanciers pour éviter un redressement judiciaire

 

 

Avantages

  • Confidentialité : Pas de publicité, pas d’inscription à l’extrait kbis de la société, préservation de l’image.
  • Flexibilité : Adaptation aux besoins spécifiques de l’entreprise.
  • Prévention : Évite une procédure judiciaire plus lourde.

Exemples concrets :

  • AddBike a eu recours à une médiation via la Banque de France pour négocier des délais de paiement pendant le Covid.

Les procédures collectives : quand la situation est critique

Ces procédures sont judiciaires et publiques. Elles interviennent quand l’entreprise est en cessation des paiements ou en risque imminent.

Procédure

Public concerné

Durée

Objectif

Sauvegarde

Entreprises en difficulté mais pas en cessation des paiements.

6 mois (renouvelable).

Élaborer un plan de redressement pour pérenniser l’activité avant cessation des paiements.

Redressement judiciaire

Entreprises en cessation de paiement.

6 mois (période d’observation) + plan sur 10 ans max.

Geler les dettes et trouver un repreneur ou un plan de continuation

Liquidation judiciaire

Entreprises sans solution de redressement.

Variable.

Solution ultime : vendre les actifs pour rembourser les créanciers.

 

Exemples concrets :

  • AddBike a été liquidée en 2023, mais la marque et les moyens ont été repris par les salariés et un investisseur, permettant une continuité de l’activité sous une nouvelle forme. Cette reprise a exclu de fait Renaud qui était dirigeant à ce moment.
  • Pro Bono Lab a été placé en liquidation judiciaire en 2025.

Le rôle de l’administrateur judiciaire

L’administrateur judiciaire (comme Ludivine Sapin) intervient pour :
  • Accompagner le dirigeant dans la préparation des dossiers.
  • Négocier avec les créanciers (banques, fournisseurs, État).
  • Superviser la trésorerie pendant la période d’observation.
  • Aider à trouver un repreneur si nécessaire.
Témoignage de Renaud Colin (AddBike) : « L’administrateur judiciaire m’a permis de me concentrer sur la recherche d’un repreneur, tandis que mon équipe gérait le quotidien. C’était presque un soulagement de ne plus être seul face à la crise. »

Communiquer et protéger les équipes : un enjeu humain majeur

Quand et comment informer les équipes ?

La transparence est cruciale, mais elle doit être stratégique pour éviter de précipiter une crise.

Moment

Actions recommandées

Signaux faibles détectés

Informer les équipes des difficultés sans alarmer, en insistant sur les solutions envisagées

Procédure amiable lancée

Expliquer que des négociations sont en cours pour protéger l’emploi

Redressement judiciaire

Annoncer officiellement la procédure, en précisant que les salaires sont garantis (via l’AGS)

Liquidation judiciaire

Prévenir dès le jugement et accompagner les équipes vers des solutions (reclassement, chômage)

Dans le cas de Pro Bono Lab, les équipes ont été informées régulièrement des difficultés financières via des points d’informations dédiés. La communication a été renforcée pendant la période de liquidation pour éviter les rumeurs.

Protéger sa propre santé mentale en tant que dirigeant

Les dirigeants sont souvent isolés face à la pression. Les intervenants ont souligné l’importance de :
  • Se faire accompagner (expert-comptable, administrateur judiciaire, réseau).
  • Accepter de lâcher prise quand la situation devient ingérable.
  • Rebondir après une liquidation (créer une nouvelle structure, rejoindre un projet existant).
Témoignage de Laurent Fialon (Pro Bono Lab) : « Quand on perd le sommeil et que les difficultés s’accumulent depuis longtemps, il faut savoir mettre ses propres limites et porter le sujet jusqu’au bout. »

Conclusion

La difficulté et la cessation de paiement ne sont pas des fatalités. Elles peuvent constituer des étapes qui peut être préparées, gérées et surmontées.

Anticiper : le meilleur rempart contre la crise

  • Surveiller les indicateurs financiers (trésorerie, endettement, chiffre d’affaires).
  • Écouter les signaux humains (turnover, arrêts maladie, épuisement de la gouvernance).
  • Consulter des experts (expert-comptable, administrateur judiciaire) dès les premiers doutes.

Ludivine Sapin : « Les banques vont être enclines à faire confiance et à accompagner une entreprise qui a anticipé ses difficultés, qui est proactive dans la recherche de solutions, qui a la trésorerie pour faire face à une restructuration et une réduction des charges. »

Démystifier les procédures : des outils, pas des échecs

  • Les procédures amiables (mandat ad hoc, conciliation) sont des leviers de négociation.
  • Le redressement judiciaire permet de geler les dettes et de chercher un repreneur.
  • La liquidation judiciaire peut être une solution ordonnée pour clôturer une aventure.

Dans le cas de Renaud Colin, la liquidation d’AddBike a permis aux salariés et à un investisseur de reprendre la marque et les moyens. Ce n’était pas une fin, mais une transition.

Rebondir : l’échec n’est pas une fin

  • Les compétences acquises (gestion de crise, résilience) sont transférables.
  • Les réseaux (anciens collègues, investisseurs) peuvent ouvrir de nouvelles portes.
  • L’entrepreneuriat reste possible après une liquidation.

Laurent Fialon : « Une liquidation n’est pas la fin d’un projet. Les idées et les équipes peuvent renaître sous une autre forme. »

Oser parler de ses difficultés, c’est déjà commencer à se donner les moyens de les surmonter.

Ressources

Plusieurs acteurs peuvent accompagner les entrepreneurs en difficulté :

  • Expert-comptable : Premier interlocuteur pour analyser la situation financière.
  • Administrateur judiciaire (comme AJ partenaires) : Pour les procédures amiables ou collectives.
  • Tribunal de commerce : Entretiens de prévention gratuits avec les juges.
  • Réseaux d’entrepreneurs (comme Ronalpia) : Retours d’expérience et soutien moral.

Est-ce que ça coûte cher ?

  • Les consultations préalables (avocats, administrateurs) sont souvent gratuites.
  • Les procédures ont des coûts réglementés, adaptés à la taille de l’entreprise.